Cher(e) ami(e) de la Santé,
Vous connaissez Guillaume Apollinaire, ce poète avant-gardiste connu notamment pour ces vers :
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peineVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure (…) »
Apollinaire est aussi connu pour s’être courageusement engagé dans l’armée française en 1914, alors qu’il n’y était pas forcé (il était né à Rome de mère polonaise).
Pendant la guerre, il a été gravement blessé à la tête… mais c’est la grippe dite « espagnole » qui l’a emporté, à deux jours seulement de l’armistice.
Voici comment le journaliste Albert Paraz raconte cette issue fatale :
« Guillaume avait la grippe espagnole.
Cendrars avait distribué soixante-douze flacons d’huile de Haarlem, remède attribué à Paracelse, qui coûtait alors huit sous.
Deux grippés ont refusé de la prendre et les deux sont morts, dont Apollinaire. Les soixante-dix autres ont guéri. »
Vous savez que je m’intéresse de plus en plus à cette fameuse huile de Haarlem.
J’avais découvert son existence il y a plusieurs années en feuilletant les dossiers de mon ami le Dr Ménat. Mais je n’y avais pas prêté l’attention qu’elle méritait.
L’huile de Haarlem a beau avoir été conçue au 17ème siècle dans une ville hollandaise (Haarlem), son succès a traversé les époques et les frontières.
Voici une publicité que l’on pouvait lire dans les journaux français en 1914[1] :

Vous noterez qu’elle promet de guérir notamment « bronchites, Influenza (grippes) et fièvres ».
Alors j’ai essayé d’en savoir plus sur la mort d’Apollinaire – en remontant à la source.
Et la source, ici, c’est Blaise Cendrars, un écrivain franco-suisse connu pour ses récits de voyages et d’aventures.
Par chance, il a raconté l’affaire en détail dans un entretien diffusé à la radio en 1950. J’ai fini par en retrouver la retranscription dans le 15ème tome de ses œuvres complètes – et vous l’ai retranscrit à mon tour.
Le voici, donc, avec quelques coupures pour faciliter la lecture :
« En 1918, je tournais un film à Nice, en novembre, j’étais venu pour huit jours à Paris (…). Le dimanche matin 3 novembre, je rencontrai par hasard Guillaume Apollinaire boulevard du Montparnasse et nous allâmes déjeuner en garçons chez le père Baty, le roi des bistros. Nous parlâmes du sujet du jour, l’épidémie de grippe espagnole qui faisait plus de victimes que la guerre. Je venais de traverser la moitié de la France en auto et j’avais assisté dans la banlieue de Lyon à l’incinération des pestiférés que l’on entassait dans les champs et que l’on aspergeait d’essence, la ville manquant de cercueils, et le tableau était d’autant plus tragique que, du côté de la gare des marchandises, des usines brûlaient à la suite d’un raid aérien.
Je donnai à Apollinaire un tube d’huile de Haarlem, dont j’avais toujours une provision sur moi, je lui racontai que j’avais déjà sauvé bien des gens avec cette drogue qui ne coûtait que vingt sous (…), que c’était le seul remède du Moyen Âge figurant encore aujourd’hui officiellement dans le Codex, que l’on attribuait la formule à Paracelse, et lui faisant remarquer le prospectus, imprimé en rouge et noir (…), je lui dis qu’il avait là réunis tous les éléments d’une magnifique chronique et je lui recommandai d’écrire sur l’huile de Haarlem, le seul remède efficace contre la grippe espagnole, un papier sensationnel dans le prochain numéro du Mercure de France, où il tenait La Vie anecdotique, la chronique très personnelle d’un touche-à-tout bien renseigné, amusant et souvent goguenard. (…) Nous nous quittâmes, ce dimanche 3, enchantés l’un de l’autre.
La semaine s’écoula vite. (…) Le vendredi 8, j’allai déposer chez la concierge d’Apollinaire, qui habitait à deux pas, le premier exemplaire de J’ai tué sorti des presses. La concierge ne me laissa pas entrer. Du fond de sa loge, elle me criait :
— « J’ai la grippe, n’entrez pas, j’ai la grippe ! »
— « Et Apollinaire, il est là ? »
— « M. Apollinaire, je ne l’ai pas vu depuis dimanche. »
— « Et Madame ? »
— « Mme Apollinaire, il y a quatre, cinq jours que je ne l’ai pas vue non plus. »
— « Vous êtes sûr qu’ils sont là ? »
— « Mais bien sûr. Ils ont la grippe, comme moi. N’y allez pas… ! »Mais déjà je montais l’escalier quatre à quatre et me mis à sonner, sonner, puis à tambouriner la porte. Au bout d’un long, très long moment, Jacqueline Apollinaire entrouvrit la porte. Elle était en robe de chambre et rouge comme une écrevisse. Elle calait la porte du pied.
— « Nous sommes couchés depuis dimanche. Nous avons la grippe. N’entrez pas, Cendrars ! » me dit-elle.
— « Et Guillaume ? »
— « Il est tout noir et ne bouge plus. N’entrez pas… ! »Je bousculai Jacqueline et courus au lit de Guillaume. Apollinaire était allongé sur le dos. Il était tout noir. Il respirait difficilement. À mon appel, il ouvrit les yeux. Je criai plus fort. Il referma les yeux. Au bout d’un moment, il se tourna sur le côté gauche, contre le mur.
Je redescendis quatre à quatre l’escalier et courus au bistrot du coin téléphoner à un médecin. J’appelai le docteur Capmas, lui dis que c’était d’extrême urgence, qu’Apollinaire agonisait, et lui demandai si je ne ferais pas bien de lui fendre le lobe des oreilles pour lui faire pisser du sang en attendant. Il me recommanda surtout de n’en rien faire, me dit qu’il venait immédiatement, sa voiture étant à la porte. J’appelai encore Serge Jaztrebzoff à son bureau de l’hôpital italien, le priai de prévenir la mère d’Apollinaire que je ne connaissais pas, et d’alerter les amis qu’il pourrait toucher, lui disant non seulement que c’était grave mais que c’était la fin.
En effet, quand le docteur Capmas arriva, il me dit qu’on l’avait appelé trop tard, qu’il ne pouvait plus rien pour Guillaume. Jacqueline s’était recouchée. À son tour, elle devenait noire à vue d’œil. Alors, le docteur Capmas s’occupa d’elle. Avant de partir, j’allai jeter un dernier coup d’œil dans la cuisine où Apollinaire aimait tant se tenir à sa petite table, sous l’œil-de-bœuf mansardé. Une plume trempait dans l’encrier.
D’un côté était le tube d’huile de Haarlem que j’avais donné le dimanche à Guillaume et dont il avait soigneusement déplié et défroissé le prospectus moyenâgeux, de l’autre côté était posé un gros bouquin ancien, un traité de médecine rédigé en hollandais. En tête d’une feuille de papier blanc était écrit en lettres, calligraphié de la main de Guillaume et trois fois souligné : MA DERNIÈRE MALADIE.
C’est donc en rédigeant l’article que je lui avais demandé de faire que Guillaume Apollinaire a été saisi du premier frisson de la grippe qui devait l’emporter et, malgré ce que je lui en avais dit, il n’avait pas eu la curiosité, ni la foi, ni le courage de boire mon huile de Haarlem. À sa place, et venant de lui, moi, j’aurais vidé le tube d’un trait, quitte à m’empoisonner, tant pis ! Pourquoi avoir des amis et en faire tant de cas, si l’on n’y croit pas ?
Je sortis découragé. J’entrai dans la loge de la concierge. Elle savait déjà qu’Apollinaire était mourant. Elle gémissait. Je lui fis avaler onze gouttes d’huile de Haarlem dans un bol de lait que j’allai quérir. La femme se laissa faire. Je lui demandai s’il n’y avait pas d’autres commissions que je pouvais faire dans le quartier. Elle n’avait besoin de rien. Alors, je m’en allai… Apollinaire est mort le samedi 9, dans la soirée. On l’a enterré le lundi 11. »
Je trouve ce récit fascinant à plus d’un titre. Mais il mérite quelques explications.
Si Apollinaire est « noir », c’est manifestement parce qu’il est victime d’une cyanose.
La cyanose est une coloration bleuâtre (voire noirâtre) de la peau. Cela commence généralement par les lèvres, et c’est le signe que le sang manque gravement d’oxygène.
Donc, à l’arrivée de son ami Cendrars, Apollinaire est en détresse respiratoire avancée, la grippe ayant probablement évoluée en pneumonie.
À ce stade, il était très difficile de le sauver, à moins peut-être de le placer immédiatement sous oxygène.
Toutefois, la question se pose :
Guillaume Apollinaire est-il vraiment mort de la grippe espagnole ?
La grippe espagnole est une énigme médicale non résolue :
Pourquoi a-t-elle tué tant de monde ?
Pourquoi a-t-elle tué tant d’hommes jeunes et apparemment en bonne santé ?
C’est particulièrement inhabituel pour un virus.
Mais s’agissant du cas d’Apollinaire, il n’y a aucun mystère.
Car sa santé était déjà extrêmement affaiblie quand il a contracté cette mauvaise grippe.
Comme beaucoup de ses camarades de tranchée, ses poumons avaient été gravement atteints par les différents gaz toxiques subis au front.
Sa grave blessure à la tête, pendant la guerre, a aussi contribué à fragiliser sa santé. Quelques semaines après une opération apparemment réussie, il avait dû retourner sur le billard pour subir une trépanation (opération où l’on vous ouvre le crâne).
Puis, neuf mois avant sa mort, il a été hospitalisé pendant trois mois pour une « congestion pulmonaire », c’est-à-dire une accumulation anormale de liquide dans les poumons. Vraisemblablement liée à une pneumonie, déjà.
Bref, quand il contracte la fameuse grippe espagnole, il est extrêmement vulnérable.
C’est donc d’autant plus triste qu’il n’ait pas essayé de se soigner naturellement – alors même qu’il disposait, grâce à son ami Blaise Cendrars, d’un remède potentiellement salvateur.
On dirait qu’il a préféré suivre les mêmes conseils désastreux que nous avons entendus pendant la première vague Covid en 2020 :
« Restez chez vous, n’allez pas chez le médecin, il n’y a pas de traitement, attendez que vous soyez en difficulté respiratoire pour aller à l’hôpital ».
Apollinaire aurait-il préféré mourir « scientifiquement » plutôt que de guérir « empiriquement » ?
Il est vrai qu’il n’existe pas d’essai clinique démontrant l’efficacité de cette fameuse huile de Haarlem en cas de grippe ou de bronchite.
Elle n’est donc pas « scientifiquement prouvée ».
Mais « empiriquement », c’est une autre histoire.
Et nous en reparlerons très bientôt.
Bonne santé,
Xavier Bazin
PS : Cette cyanose d’Apollinaire me fait penser à une autre anecdote historique – et à un autre grand remède.
Il s’agit d’un cas médical rapporté par le Dr Frédéric Klenner, l’homme qui a révolutionné l’utilisation de la vitamine C en intraveineuse.
Nous sommes dans les années 1940, aux États-Unis.
Un des patients du Dr Klenner, victime d’une pneumonie virale, a soudainement développé une « cyanose », lui aussi : ses lèvres, ses ongles et sa peau commençaient à devenir bleus, faute d’oxygène.
L’homme aurait dû aller à l’hôpital pour recevoir de l’oxygène – mais il s’y refusait obstinément.
Alors, le Dr Klenner « tente » quelque chose.
Il avait souvenir d’une théorie selon laquelle la vitamine C pouvait améliorer le transport de l’oxygène dans les tissus.
N’ayant aucune autre solution, il injecte deux grammes de vitamine C à son patient.
Au bout d’une demi-heure seulement, l’homme va déjà mieux (« la couleur ardoise s’était éclaircie »).
Encore plus spectaculaire : quand le Dr Klenner revient 6 heures plus tard, l’homme est assis sur son lit, en train de manger. Sa fièvre avait chuté.
« Ce changement soudain dans la condition du patient nous a amenés à soupçonner que la vitamine C jouait un rôle bien plus significatif que celui d’un simple catalyseur respiratoire », raconte le Dr Klenner.
Depuis, des essais cliniques récents ont montré les immenses promesses des injections de vitamine C pour les patients en réanimation, notamment en cas de sepsis et détresse respiratoire[2].
Mais ce remède-là, Apollinaire n’aurait pas pu en bénéficier : en 1918, la vitamine C n’avait pas encore été découverte !
23 réponses
Intéressant!
Information d’ordre CAPITAL qui prouve bien que la majorité des victimes de la « terriblissime mortellissime COVID-19 » l’ont été par manque de prise en charge médicale simple (VIT C / ZINC / Oxygène / …) mais totalemt efficace !!!
Très très interressant,je connais l’huile de Harlem pour en avoir déjà prise
Très intéressant, j’aime beaucoup ce genre d’histoires .
Au plaisir de vous lire,
Céline C.
Article subtil et donc forcément passionnant.
Félicitations.
On en redemande!
C’est toujours une escapade buissonnière que de vous lire.
Entre Appolinaire , Cendrars et le Dr Klenner , l’huile de Haarlem et la vitamine C , le reportage est vif , piquant , documenté et le tour est joué : poésie, histoire et médecine viennent à nous délicieusement .
On en veut d autres …
Votre enquête est aussi palpitante qu’un thriller !!
L’article sur l’huile de Haarlem est fort intéressant. Merci de porter ce récit à notre connaissance.
Pouvons-nous s’en procurer ?
Très convaincant! Merci!
Bonjour
Je confirme les bienfaits de la vitamine C intra veineuse dans beaucoup de domaines.
Bon, ça ne rapporte rien à Big Pharma, et ce n’est pas nos politiciens corrompus qui seront du coté des malades.
Cela fonctionne pour les cancers et plein d’autres pathologies
Cette huile de Haarlem peux on en recevoir de nos jours, et où ?
Merci